Une fois encore, les sommets des montagnes étaient ceints de nuages épais. Le vent féroce secouait tellement les trépieds qu’il aurait, de toute façon, probablement été impossible de capturer une image nette. Avec un sentiment de frustration, nous avons rangé le matériel dans la voiture toute déglinguée, et nous avons emprunté la piste de gravier bosselée pour retourner à nos tentes, que nous avions plantées près de l’entrée du parc national. Nous plaisantions en nous demandant si notre camp résisterait à ce vent violent lorsque j’ai remarqué un mouvement parmi les broussailles sombres de mata negra, à ma gauche. J’ai freiné légèrement, et soudain, un puma et ses deux petits ont traversé la piste juste devant nous.
Nous avons rapidement saisi nos appareils photo sur le siège arrière de la voiture, mais avant que nous ne puissions prendre une photo, les chats s’étaient déjà éclipsés parmi les broussailles denses.
Cette rencontre s’est déroulée il y a 17 ans de ça. Pendant ce voyage, j’étais accompagné de mon ami Karl Jourdan, et j’ai passé cinq semaines à photographier des guanacos dans le parc national chilien Torres del Paine . De tout le voyage, ce serait notre seule et unique rencontre avec un puma. Pourtant, ce moment fugace était si profondément gravé dans ma mémoire que je rêvais continuellement de repartir dans le sud du Chili pour photographier les pumas sauvages.
L’amour véritable ne meurt jamais
En 2015, un vaste projet photographique consacré aux dernières grandes prairies du monde m’a ramené en Amérique du Sud, afin de capturer des images du désert de Patagonie. Pendant ce voyage, j’ai eu la chance de retourner au parc national de Torres del Paine. Comme le dit le dicton, « l’amour véritable ne meurt jamais », et une fois encore, j’ai immédiatement été captivé par cet endroit sauvage, à l’extrémité sud du continent américain. Aujourd’hui encore, presque aucun autre paysage ne m’a autant envoûté que les montagnes balayées par le vent du parc national Torres del Paine. Le temps est très changeant ; on dit qu’il est possible de vivre les quatre saisons en une seule journée, dans cette région. Parfois, la matinée commence sous un beau soleil, puis le ciel s’assombrit soudainement, tandis qu’une énorme tempête de neige s’abat sur la région... Les paysages d’une beauté à couper le souffle, les conditions météorologiques extrêmes et la diversité de la faune et de la flore font de cette région un endroit unique.
Pendant mon travail dans le cadre du projet photographique consacré aux prairies, j’ai rapidement découvert que les chances d’observer des pumas dans le parc national Torres del Paine s’étaient considérablement améliorées. Les farouches chats du parc national sont protégés depuis quelque temps déjà, et de plus, certains agriculteurs locaux n’élevaient plus de moutons et toléraient désormais la présence des pumas sur leurs terres. Bien que je n’aie personnellement observé aucun puma au cours de ce voyage, le soir, de retour à mon hébergement, j’ai entendu de nombreux touristes parler d’observations survenues par pur hasard. J’ai donc décidé de retourner au Chili cette même année, spécialement pour observer les pumas. Cette fois, j’étais accompagné de guides expérimentés et, en l’espace de deux semaines, j’ai réussi à photographier plusieurs pumas. Il était extrêmement difficile de repérer ces chats farouches, mais dès le commencement, j’ai eu le sentiment que si je passais beaucoup de temps ici, je pourrais compiler le premier article détaillé consacré aux pumas vivant à l’état sauvage dans le parc national Torres del Paine.
Une vraie épreuve d’endurance
Sur les traces des pumas farouches et solitaires
Dès le commencement, j’ai réalisé que ce projet serait incroyablement difficile. Je devrais passer de nombreux mois en Patagonie, j’aurais besoin d’une assistance expérimentée, d’un hébergement et de deux véhicules tout-terrain.
Après quelques semaines de préparatifs essentiels, le grand moment est enfin arrivé. Il était temps d’effectuer mon premier voyage pour le projet d’observation des pumas. J’avais décidé de me rendre au parc national Torres del Paine en hiver, car le parc accueille moins de visiteurs à cette période. Mon équipe était composée de deux pisteurs expérimentés, d’un cuisinier ayant l’expérience des expéditions et de moi-même. Notre hébergement était une petite cabane située dans la zone la plus propice à l’observation des pumas, juste à l’extérieur du parc national.
Au cours des semaines qui ont suivi, nous sommes partis chaque jour à la recherche des chats sauvages. Les pumas sont principalement actifs au crépuscule et pendant la nuit ; nous devions donc partir bien avant le lever du soleil, et nous ne rentrions qu’après la nuit tombée. Notre hébergement était très sommaire et le travail de photographie était ardu, mais l’équipe a parfaitement travaillé ensemble, et nous nous sommes tous très bien entendus. Les conditions météorologiques extrêmes, avec des températures inférieures à -10 °C, n’ont pas réussi à nous décourager. Même lorsque toutes les conduites d’eau de la cabane ont gelé, quelques jours après notre arrivée, et malgré la diminution progressive de notre bois de chauffage, l’atmosphère est restée positive. Il faisait tellement froid dans la cabane que malgré nos sacs de couchage en duvet, le froid nous réveillait vers 4 heures du matin et nous n’arrivions pas à nous rendormir. Seul le fait d’allumer le poêle rendait la température supportable. Ces premières semaines ont été une véritable épreuve d’endurance, et cette expérience a forgé entre nous un lien tellement fort que je me suis appuyé sur la même équipe pour le reste du projet.
En fin de compte, nous avons observé des pumas tous les jours pendant ce voyage. Toutefois, quelques-unes seulement de ces rencontres m’ont permis de réaliser de belles photos. Les pumas sont des animaux farouches et solitaires, extrêmement difficiles à observer dans la nature. Travailler avec eux n’a rien à voir avec la photographie de lions, de léopards ou de tigres. Les pumas sont beaucoup plus difficiles à localiser. Le simple fait de s’approcher suffisamment d’eux pour les photographier est beaucoup plus difficile, car les pumas disparaissent souvent, même à quelques centaines de mètres de distance. Toutefois, peu de choses sont aussi passionnantes que photographier les pumas, car au lieu d’être assis dans votre voiture, vous êtes dehors, en train de regarder l’animal droit dans les yeux. Le parc national ne comporte pas beaucoup de pistes. Certains jours, nous avons dû marcher jusqu’à 20 kilomètres, en portant sur notre dos de lourds équipements photo, pour trouver ou suivre un de ces chats sauvages. D’autres jours, nous avons passé des heures entières dissimulés derrière un rocher, souvent dans un vent et un froid extrêmes, jusqu’à ce qu’une opportunité de photo se présente. C’est précisément ce genre de photographie animalière qui me plaît. J’aime être au contact de la nature, face aux éléments, transpirer, frissonner, ressentir tour à tour la frustration, puis l’excitation d’avoir enfin capturé la photo parfaite. Pour moi, il n’y a rien de plus
merveilleux – c’est exactement pour cela que j’aime mon travail.
Le premier voyage effectué pour le projet d’observation des pumas a déjà été un grand succès. Les photos que j’ai obtenues m’ont aidé à attirer l’attention de partenaires potentiels. Au cours des deux années suivantes, j’ai effectué six autres voyages pour observer les pumas sauvages de Patagonie, et au total, j’ai passé plus de sept mois dans la région.
Au fil du temps, j’ai observé que les pumas réagissent très individuellement à la présence des humains, et que certains animaux sont moins farouches que d’autres. Dans le cadre de mes travaux photographiques, j’ai eu la chance d’observer plus de 20 animaux différents. Je me suis particulièrement attaché à deux pumas femelles, Sarmiento et Colmillo. J’ai eu l’occasion unique de les photographier et d’observer comment elles élèvent leurs petits : de l’instant où les jeunes pumas
ont commencé à parcourir les environs avec leur mère jusqu’au moment où, devenus indépendants et commençant à vivre seuls, ils ont atteint leur pleine maturité, à l’âge d’environ un an et demi.
Les pumas sont des chats sauvages et peuvent être dangereux pour l’homme. J’ai toujours veillé à maintenir une distance de sécurité avec eux pendant mon travail. Certains animaux, qui me connaissaient depuis des mois, se sont habitués à ma présence et ont commencé à me faire confiance. Parfois, ces animaux se sont beaucoup approchés de moi, se couchant même parfois assez près de moi pour dormir. J’ai appris à considérer ce comportement comme un signe de confiance et la confirmation que j’avais accompli mon travail avec suffisamment de soin.
About the author
Ingo Arndt was born in Frankfurt am Main, Germany. From early childhood, he spent every single minute of his spare time outdoors in nature. Soon he realized that photography was a useful tool in environmental protection, so, after finishing school in 1992, Ingo plunged into the adventurous life of a professional photographer. Since then, he has traveled around the globe for extended periods as a freelance wildlife photographer, photographing reports in which he portrays animals and their habitats. In the past few years he has been mainly on assignment for GEO and National Geographic Magazine. With his images, Ingo wants to stimulate and increase the awareness of his viewing audience and show them the magnificence of nature.
His adventures with the pumas in Torres del Paine National Park have also been published in the book PumaLand (2019).